Musique dans la tête
Ecrire un poème, c’est assembler les sonorité qui vibrent dans les mots qu’on entend à l’intérieur de soi, au delà du sens du texte.
Le sens a aussi son importance. On peut assembler plusieurs sens qui s’entrechoquent en plus des sons…
Le sens est surtout support d’images. Parfois plusieurs pour un seul mot…
Quand j’étais petite, je m’amusais ainsi. Je prenais un mot qui avait un sens précis, et je le répétais sans arrêt dans ma tête jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un assemblage de sonorités sans aucune signification. A ce moment-là, je ressentais un vertige terrifiant : quand les mots n’ont plus de sens et qu’on n’est plus que dans le son pur, où est-ce qu’on est ? Très rapidement, je trouvais un autre mot qui avait un sens, celui-là, afin d’être à nouveau dans ce qu’on appelle “le langage”, c’est-à-dire un truc pour communiquer.
C’était une sorte de vertige que j’ai presque retrouvé en lisant les poèmes d’un auteur français qui s’appelle Saint-John Perse. De son vrai nom Alexis Leger (qu’il demandait qu’on prononce “Leuger” et non “Léger” – oops! ça démarre déjà très fort…), c’était un diplomate du gouvernement français (ah! Tiens, comme Claudel, dont la poésie est presque aussi absconse…) en poste à Pékin (ah! immergé dans une langue qui ne s’écrit pas avec nos lettres, dont on ne peut qu’imaginer les sonorités en voyant les caractères dessinés…), Saint-John Perse donc n’écrivait qu’avec des sons. Il se fichait comme d’une guigne du sens logique et mental de la phrase.
Ses poèmes sont néanmoins traduits en plusieurs langues (je me demande comment ils ont fait – les traducteurs, je veux dire…). Il fut déchu de la nationalité française par le gouvernement de Vichy en 1940 (on comprend pourquoi: ça ressemblait trop aux messages cryptés radiophoniques émis sur la France par les résistants de Londres : “tilala tilala tilala Les carottes sont cuites, je répète, les carottes sont cuites”). mais néanmoins reçut le Prix Nobel de Littérature en 1960.
J’ai l’air de rigoler comme ça, mais en fait, un poème de Saint-John Perse, c’est beau et ça fait voyager très fort.
Autrefois je possédais un recueil de cet auteur, que j’ai perdu il y a longtemps et je le regrette. J’aimerais le retrouver.
EXTRAIT d’une “Chanson” publiée dans ce site : https://www.poesie.net/perse1.htm et que par conséquent je n’ai pas le droit de citer en entier (mais je vous engage à cliquer pour aller le lire…)
“Et ce n’est point qu’un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d’un vieil arbre, appuyé du menton à la dernière étoile, il voit au fond du ciel de grandes choses pures qui tournent au plaisir.
Mon cheval arrêté sous l’arbre qui roucoule, je siffle un sifflement plus pur…”
EXTRAIT N°2 (copié ici, avec mes excuses : http://www.sjperse.org/amers.html
“Nous franchirons enfin le vert royal du Seuil ; et faisant plus que te rêver, nous te foulons, fable divine !… Aux clairières sous-marines se répand l’astre sans visage ; l’âme plus que l’esprit s’y meut avec célérité. Et tu nous es grâce d’ailleurs. En toi, mouvante, nous mouvant, nous épuisons l’offense et le délit, ô Mer de l’ineffable accueil et Mer totale du délice !”
A la question “Pourquoi écrivez-vous ?” il répondait : “Pour mieux vivre.”
Les poèmes de Saint-John Perse sont la propriété de Gallimard, au point qu’il est très difficile d’en trouver des extraits en ligne. Tant pis pour vous, O élitistes qui méprisez les masses !
Visitez aussi ce site : http://www.babelio.com/auteur/Saint-John-Perse/23470 dans lequel on peut trouver les EXTRAITS suivants :
“C’étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !”
“Ne crains pas, ni ne doute, car le doute est stérile et la crainte est servile. Écoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création.”
(extrait du discours d’allocution au banquet Nobel du 10 décembre 1960)
“Tu es là, mon amour, et je n’ai lieu qu’en toi. J’élèverai vers toi la source de mon être, et t’ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d’homme ; et la grandeur en moi d’aimer t’enseignera peut-être la grâce d’être aimé. Licence alors aux jeux du corps ! Offrande, offrande, et faveur d’être ! La nuit t’ouvre une femme : son corps, ses havres, son rivage ; et sa nuit antérieure où gît toute mémoire. L’amour en fasse son repaire!”
“Ceux qui sont vieux dans le pays le plus tôt sont levés
à pousser le volet et regarder le ciel, la mer qui change de couleur
et les îles, disant : la journée sera belle si l’on en juge par cette aube.
Aussitôt c’est le jour ! et la tôle des toits s’allume dans la transe, et la rade est livrée au malaise,
et le ciel à la verve, et le Conteur s’élance dans la veille !
La mer, entre les îles, est rose de luxure ; son plaisir est matière à débattre, on l’a eu pour un lot de bracelets de cuivre !”
(Avec mes excuse pour tous ceux que ce post énerve ou met en colère ou dans un état d’incompréhension gênée.)
Création collective d’histoires poétiques
Ceux qui aiment se réunir entre amis dans la semaine pour meubler les soirées de solitude peuvent consacrer une heure par semaine à la création débridée de poèmes et d’histoire, un peu comme un atelier d’écriture à plusieurs voix.
Chaque semaine, quelqu’un propose des mots, un rythme de phrase, et tous essaient de les utiliser pour créer des images mobiles et sonores en se renvoyant la balle les uns aux autres.
Ou bien l’un commence une histoire et passe la parole à un autre qui la continue et passe la parole au suivant… etc.
Une heure par semaine pour s’amuser avec les sonorités et les images de votre langue, française ou autre, et pour rejoindre l’âme, ensemble.
J’ai bien dit “s’amuser”, hein ? Halte au mental critiquant, docte et professoral. Pour l’âme, de la musique avant toute chose… Et si la versification n’est pas parfaite, qui s’en soucie ?
Les mots, les sons, les jeux du double ou triple sens… On s’amuse pour amuser l’âme.
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